DINER-DEBAT

avec

Monsieur Gilles CHOURAQUI

Ancien ambassadeur et sinologue
Jeudi 30 mars 2023
" La Chine et l’ordre du monde "
 
L’analyse d’un diplomate français sinologue sera passionnante dans l’actualité très inquiétante.
Gilles Chouraqui est né en 1947 à Paris. Après des études de droit, de science politique et de langues et civilisations orientales (Chinois et Hindi), il a embrassé la carrière diplomatique. Dans ce cadre, il s'est notamment intéressé à des problématiques aussi diverses que les affaires asiatiques et européennes, le droit international de la mer ou la diplomatie culturelle.
Secrétaire d'ambassade à Pékin à l'époque de la Révolution culturelle, II a ensuite été, entre autres, Conseiller culturel à Londres, Conseiller pour les affaires internationales au cabinet de Jack Lang, Ministre de la culture, Consul général de France à Hong Kong, Directeur-adjoint Asie-Océanie au Ministère des Affaires étrangères, ambassadeur aux Philippines et ambassadeur représentant permanent de la France au Conseil de l’Europe, à Strasbourg.
II a publié divers articles (Revue Critique, etc.) ainsi que « La mer confisquée » (Le Seuil, 1979).

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Compte-rendu

Né en 1947 à Paris, Gilles Chouraqui a fait des études de droit, de science politique et de langues et civilisations orientales (chinois et hindi), puis a embrassé la carrière diplomatique. Il s’est intéressé aux affaires asiatiques et européennes, au droit international de la mer et à la diplomatie culturelle. Il a été secrétaire d’ambassade à Pékin à l’époque de la Révolution culturelle. Il a été ensuite conseiller culturel à Londres, conseiller pour les affaires internationales au cabinet de Jack Lang, Ministre de la culture, Consul général de France à Hong Kong, directeur-adjoint Asie-Océanie au Ministère des Affaires étrangères, ambassadeur aux Philippines et ambassadeur représentant permanent de la France au Conseil de l’Europe à Strasbourg. Il a publié dans la Revue critique, et La mer confisquée (Seuil, 1970).

G. Chouraqui explique que la Russie livre en l’Ukraine une guerre contre l’Occident et contre l’ordre du monde, comme celle menée par la Chine depuis plusieurs années. Celle-ci se déploie sur les fronts économique, biologique, cybernétique, militaire, etc., avec deux objectifs : (1) supplanter les Etats-Unis comme première puissance mondiale, et (2 imposer au monde un nouvel ordre, où les valeurs d’un Occident détesté seraient remplacées par les valeurs chinoises. Pour atteindre cet objectif, la Chine exerce un expansionnisme tous azimuts, accompagné d’un ultra nationalisme.

Va-t-on vers un nouvel ordre mondial ?

L’ordre du monde actuel provient de l’ordre européen issu au 19ème siècle du Congrès de Vienne (1815) qui a façonné l’Europe après les guerres napoléoniennes, autour du principe d’équilibre des puissances. Il est aussi le produit des traités qui ont mis fin aux deux guerres mondiales du 20ème siècle et de l’institution en 1945 de l’Organisation des Nations Unies. Il repose sur plusieurs principes, inscrits dans la Charte des Nations Unies : maintien de la paix et de la sécurité internationale, promotion des droits fondamentaux de l’homme, respect des traités et coopération internationale.

Ces principes s’inscrivent dans une vision du monde occidental héritée de la philosophique grecque, de la pensée judéo-chrétienne, de celle de la Renaissance, de celle des Lumières et de la modernité européenne. L’Homme y est placé au centre des préoccupations de la société. La liberté y joue un rôle fondamental. Cet ordre mondial a été bipolaire de 1945 à 1991, partagé entre deux superpuissances antagonistes et en guerre froide, les Etats-Unis à la tête du monde dit libre, et l’URSS conduisant le monde communiste.

L’éclatement de l’Union Soviétique a ouvert la voie à un nouvel ordre mondial dominé par l’Occident et une seule superpuissance, les Etats-Unis. Cette domination se manifeste depuis 1991 sur les plans technologique, économique, culturel, idéologique et stratégique. L’Occident a en outre été renforcé par l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne d’anciennes démocraties populaires.

Toutefois cette domination de l’Occident est contestée de manière croissante depuis le début des années 2000, suite à la montée en puissance sur les divers continents de régimes autoritaires, dont la Russie et la Chine, deux des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Ils y font systématiquement cause commune contre l’Occident. Dès 2013, la Chine se lance dans une politique d’expansion terrestre, avec les nouvelles routes de la soie, et maritime dans la mer de Chine du Sud. En outre l’Iran ambitionne aussi de devenir la grande puissance régionale du Moyen-Orient, exerçant un contrôle croissant sur la Syrie et l’Irak, avec l’appui russe.

On assiste aussi à une reprise de la course aux armements. Dès 2016, les budgets militaires repartent à la hausse partout dans le monde, avec loin en tête les Etats-Unis, suivis par la Chine, l’Inde, le Royaume-Uni, et la Russie. Le monde apparaît de plus en plus divisé entre deux groupes d’Etats : d’un côté l’Occident et les démocraties libérales (Etats-Unis, Canada, Europe, Japon, Australie...), et de l’autre les autocraties (Russie, Iran, Chine et leurs « protégés » en Asie, au Moyen Orient, et en Afrique). A côté de ces deux groupes d’Etats, les pays dits du Sud global, sont courtisés par les autocraties cherchant à les éloigner de l’Occident.

Dans ce contexte, la Chine lance son offensive. Au tournant du 19ème siècle, la rencontre d’un empire chinois, jusque-là assez isolé, avec un Occident en pleine expansion a ouvert pour l’empire du milieu une période de déclin et d’humiliation. Sans être à proprement parler colonisée, la Chine a été soumise par des traités inégaux à un régime de concessions concernant une vingtaine de ses plus importantes villes. La Chine qualifiera cette période de siècle des humiliations et accumule un immense ressentiment.

La chute de l’empire chinois en 1911 et l’instauration de la république n’améliorent pas la situation. La Mongolie extérieure échappe à la souveraineté chinoise et le Japon envahit la Mandchourie en 1931. En 1937 éclate la guerre avec le Japon, qui fera au moins dix millions de morts et durera jusqu’en 1945. Ensuite une violente guerre civile opposera dès 1946, nationalistes du Kuomintang et communistes dirigés par Mao Tsé Toung, jusqu’à la victoire communiste en 1949.

Les premières décennies de la Chine communiste, sous la direction de Mao Tsé Toung, ont été très dures : intervention coûteuse en vies humaines de 1950 à 1953 dans la guerre de Corée, radicalisation progressive du pouvoir communiste, famines résultant du grand bond en avant avec une trentaine de millions de morts, et révolution culturelle entre 1966 et 1976 qui se solde par des millions de morts et la destruction du pays et des infrastructures sanitaires, d’enseignement, etc.

Après la mort de Mao Tsé Toung en 1976 et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, la situation de la Chine évolue radicalement, avec le miracle économique chinois de 1978 à 2012. Deng Xiaoping prend le contrepied de Mao Tse Toung et convertit la Chine à l’économie de marché.

Xi Jinping arrive au pouvoir en 2012/2013. Le pays connait un durcissement totalitaire à l’intérieur et fait preuve d’un expansionnisme tous azimuts à l’extérieur. Xi Jinping cumule les fonctions de secrétaire général du parti communiste, président de la République, et président de la commission militaire du parti. Par amendements de la Constitution, il se donne la possibilité d’avoir plus de deux mandats de cinq ans, puis d’être président à vie, comme Mao Tsé Toung et Staline. Il fait aussi l’objet d’un culte de la personnalité. Il raffermit l’emprise du parti communiste (plus de cent millions de membres) sur la population.

Le contrôle de la population utilise les nouvelles technologies de l’information : reconnaissance faciale ou généralisation d’un système de crédit social, dans lequel les citoyens sont en permanence classés et sanctionnés en fonction d’une notation liée à leur crédit social. La Chine poursuit sa politique de sinisation forcée des minorités nationales : Tibet, Xinjiang, Mongolie.

Xi Jinping annonce dès 2017 que la Chine est un modèle pour le monde entier, qui doit remplacer le modèle libéral dépassé de l’Occident. L’objectif est de faire de la Chine la première puissance économique, technologique, et militaire du monde, devant les Etats-Unis.

L’expansionnisme économique chinois repose en partie sur les nouvelles routes de la soie lancées dès 2013. Elles couvrent un plan très ambitieux de prêts et d’infrastructures par lequel la Chine entend pousser son influence partout dans le monde. C’est le plus grand projet d’investissement de l’Histoire, avec mille milliards de dollars cumulés sur dix ans, dans cent vingt-trois pays en 2020.

Ce modèle montre des signes d’essoufflement

Sur le plan diplomatique la Chine rejette l’ordre international existant mais assure depuis longtemps une présence active aux Nations Unies et dans les institutions internationales, en essayant de les contrôler et de les utiliser à ses propres fins.

Sur le plan militaire, Xi Jinping renforce considérablement les forces armées chinoises, et les réorganise. La Chine développe sa présence militaire sur les océans. En 2017 elle a ouvert à Djibouti sa première base militaire à l’étranger. Elle se montre expansionniste en mer de Chine du sud, voie de circulation essentielle pour le transit maritime mondial, et qui abrite en outre des ressources considérables. Entre 2013 et 2016 elle y a construit sept bases militaires navales et aéronavales sur des îles artificielles. La Chine multiplie aussi les pressions sur Taiwan et dans l’Himalaya (Inde). Entre 2019 et 2022, elle a pris le contrôle total sur Hong-Kong en imposant la loi de la République Populaire.

La Chine s’est rapprochée d’autres puissances autoritaires et anti-occidentales, notamment de la Russie. Pour maintenir une cohésion face à Washington, Pékin affecte de traiter la Russie comme une puissance majeure. La Chine soigne aussi ses relations avec les Etats du Moyen-Orient, Iran en tête, pour des raisons énergétiques. Elle s’attache à y jouer un rôle diplomatique, en développant une coopération avec l’Arabie Saoudite et œuvrant pour son rapprochement avec l’Iran.

Quelle est la réponse du monde à l’offensive chinoise ?

On assiste à un réveil de l’Occident après trente années d’illusions, avec une prise de conscience d’une dépendance et de l’inquiétude. Une réflexion a été entamée sur la nécessité de reconquérir notre souveraineté économique et de contrer la propagande chinoise sur le thème du déclin de l’Occident.

Conclusions et perspectives

La Chine connaît des fragilités : vieillissement démographique, montée du chômage, pauvreté et insatisfaction croissante d’une majorité de la population, disparités régionales et inégalités sociales, corruption généralisée, dépendance de ses exportations et énergétique vis-à-vis de l’étranger.

La politique de Xi Jinping induit d’autres fragilités. Privilégier la science et la technologie, au cœur de la rivalité civile et militaire avec les Etats-Unis, contre l’économie et la finance, présente un risque de ralentissement économique.

Le contrôle absolu donné au Parti Communiste, au lieu de le séparer de l’Etat comme le prônaient ses prédécesseurs, constitue également une menace.

Enfin la politique anti-occidentale a eu jusqu’à présent comme premier effet le renforcement de sa mobilisation vis-à-vis de la Chine. Xi Jinping, dans la poursuite du rêve chinois, entend affaiblir et diviser l’Occident, et imposer au monde entier, contre la civilisation occidentale, une civilisation fondée sur le modèle chinois.

Mao Tsé Toung avait échoué dans son projet. Qu’en sera-t-il de son successeur ? Si l’Occident ne baisse pas la garde et maintient une fermeté cohérente de ses positions face à la Chine, ce devrait être le cas. L’ennemi en déclin que la Chine veut voir en l’Occident, poursuivrait ainsi son chemin du progrès de l’humanité dans les domaines éthique, politique, économique et technologique, en un mot celui du progrès civilisationnel.

Compte rendu rédigé par Bénédicte Bonnal (MP1997), André Chauvin (MS1992) & Bernard Jacob (MP1979)